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Ne laissons pas les cathos dicter leur loi du genre

mardi 16 novembre 2004


Le 31 juillet dernier, l’Église catholique a lancé une "Lettre aux évêques" destinée à rappeler au monde la doctrine juste en matière de place respective des hommes et des femmes dans toute société humaine. Cette fatwa de la "Congrégation pour la Doctrine de la Foi" emmenée par le panzer cardinal Ratzinger ne fait pas dans la dentelle.

Arc-bouté sur des textes "sacrés" datant de plusieurs millénaires (la "lettre" fait abondamment référence à la genèse et au pêché originel), l’officine vaticane en appelle à une curieuse "anthropologie biblique" pour s’attaquer vigoureusement aux errements du féminisme (même si le mot n’apparaît qu’une fois au détour d’un paragraphe). Selon elle, ce dernier persiste à souligner "fortement la condition de subordination de la femme, dans le but de susciter une attitude de contestation."
Et le texte désigne dès sa première partie l’ennemi à abattre :

"Dans ce nivelage, la différence corporelle, appelée sexe, est minimisée, tandis que la dimension purement culturelle, appelée genre, est soulignée au maximum et considérée comme primordiale. L’occultation de la différence ou de la dualité des sexes a des conséquences énormes à divers niveaux. Une telle anthropologie, qui entendait favoriser des visées égalitaires pour la femme en la libérant de tout déterminisme biologique, a inspiré en réalité des idéologies qui promeuvent par exemple la mise en question de la famille, de par nature bi-parentale, c’est-à-dire composée d’un père et d’une mère, ainsi que la mise sur le même plan de l’homosexualité et de l’hétérosexualité, un modèle nouveau de sexualité polymorphe."

Car pour l’Eglise "experte en humanité" (ce sont les premiers mots du texte...), il ne s’agit pas de parler de libération pour les femmes, mais plutôt d’instaurer "une collaboration active entre l’homme et la femme, précisément dans la reconnaissance de leur différence elle-même."

Le bon cardinal-fouettard n’oublie pourtant pas de rappeler tout le poids du crime qui pèse sur les épaules des femmes depuis des millénaires et qui justifie leur oppression, c’est-à-dire pour Eve d’avoir été la vile tentatrice qui a rendu possible le péché originel : "Dans les paroles que Dieu adresse à la femme suite au péché [originel], se manifeste, de manière lapidaire mais non moins éloquente, le mode de rapports qui va désormais s’instaurer entre l’homme et la femme : "Le désir te portera vers ton mari, et celui-ci dominera sur toi" (Genèse 3,16). On le voit : la collaboration est d’un genre que ne renieraient pas certains barbus d’une boutique concurrente.

Le reste du texte est du même tonneau. Il s’amuse à glorifier "la femme"(le pluriel n’existe pas pour ces hommes) et sa "capacité de l’autre", qui serait due à la maternité, "un élément fondamental de l’identité féminine". Mais il se défend de vouloir l’y enfermer . La preuve : "L’existence de la vocation chrétienne à la virginité [...] constitue une contestation radicale de toute prétention à enfermer les femmes dans un destin qui serait simplement biologique." Et le texte de citer Jean-Paul II qui réclame un salaire maternel, pour permettre aux femmes de faire le choix "d’élever ses enfants et de se consacrer à leur éducation"
Rien de bien nouveau, direz-vous ? Reste que la problématique est pour une fois bien posée dans une lumière crue : faut-il cultiver, mythifier, statufier les différences entre les individus de sexe différents comme le font les religions et les sociétés patriarcales depuis des millénaires ? Ou faut-il saper la base de ces sociétés patriarcales : la division sociale en genres ?
Le genre est un terme créé par les féministes pour formuler certaines critiques qu’aucun autre concept ne pouvait satisfaire. Il décrit la manière dont le patriarcat structure la société. De même que le terme classe décrit la manière dont le capitalisme la structure également. Ou de même que les castes structurent les sociétés... de caste.

Le terme de classe (classe homme, classe femme, classe gay...) n’est pas selon nous pertinent pour analyser la hiérarchisation patriarcale de la société. En effet, l’inégalité salariale entre hommes et femmes (-20 à 30 % pour ces dernières...) traverse toutes les classes sociales, lesquelles traversent en retour les divisions patriarcales. En d’autres termes, être sous le joug du patron n’empêche pas de dominer sa compagne en rentrant chez soi, de même qu’une femme dominée par son compagnon peut très bien être par ailleurs une patronne. L’oppression du genre qui pèse sur les femmes (et dans une moindre mesure sur les hommes qui ne s’y conforment pas ou peu) n’a donc pas uniquement une origine économique en termes de propriété des moyens de production, ce qui invalide le concept de "classe des femmes" par exemple. Ce dernier procède d’un amalgame douteux et inefficace entre le marxisme et le féminisme. La notion de genre permet quant à elle de traduire le caractère hiérarchique des relations entre hommes et femmes dans tous les aspects de la vie, privés comme publics, économiques comme sociaux, culturels et politiques.

Le fait même que le patriarcat existe historiquement depuis bien plus longtemps que la société capitaliste suffit en outre à prouver qu’il est un des moteurs de la société inégalitaire et autoritaire actuelle au même titre que le capitalisme ou l’État. Patriarcat, capitalisme et étatisme se renforcent les uns et les autres à certains moments, ou rentrent en concurrence à d’autres.

Exprimer l’impact du patriarcat sur la société en termes de genres plutôt qu’en termes de sexe ou de classes permet plusieurs choses : d’une part traduire les discriminations dont sont victimes les gays, les trans ou les lesbiennes. Souligner d’autre part que les inégalités ne sont pas "naturellement" liées au sexe ou à la sexualité, mais à la différenciation et la hiérarchisation des rôles sociaux majoritairement admis pour les hommes et les femmes et rompre avec la justification naturaliste des inégalités hommes/femmes (du style : l’homme va à la chasse et la femme élève les enfants depuis la préhistoire), tout en évitant l’écueil du seul économisme pour les expliquer.

La notion de genre va bien au delà de la simple imposition de rôle dans l’enfance : elle joue aux poupées, et à la dînette quand il joue aux soldats et aux mécanos. De la même manière que les classes sociales sont multiples et représentent beaucoup plus d’aspects qu’une simple inégalité économique riches/pauvres. Il y a des différences de cultures entre les classes (ouvriers/employés par exemple, cadre moyen de la fonction publique/ cadre moyen de l’industrie...), de langage, de références communes, de vécu historique, de lieux d’habitation... Il y a des différences de cultures, de langage (voire même de langues dans certains pays), de vécu historique, d’accès à la sphère publique, politique, culturelle... entre les genres. L’intériorisation de rôle sociaux genrés s’effectue tout au long de la vie et ses manifestations émanent de tous les espaces sociaux dans lesquels nous évoluons (au travail, dans la rue, au domicile, au lit...). Les divisions de genre ne recouvrent pas les divisions de classes mais les traversent, comme les divisions de classes traversent celles de genres. Les rapports de domination qui en découlent se cumulent mais ne se confondent pas.

Les curés qui prônent donc un statut soi-disant naturel des femmes et des rapports de "collaboration active entre l’homme et la femme" nous font donc un peu penser à ces penseurs du 19e siècle qui justifiaient par la biologie les inégalités sociales entre bourgeois et prolétaires, mais aussi à ces patrons qui qualifient leurs employé-e-s de "collaborateurs". Cette conception essentialiste revient à nier le caractère inégalitaire et autoritaire des rapports de genre en considérant que les rôles que l’on nous impose seraient nécessaires parce que complémentaires et « par essence » attribués à tel ou tel sexe.

Démolissons le patriarcat comme le patronat, autogérons tou-te-s l’usine comme la cuisine, l’atelier comme le vaisselier